« Les comédies ne sont faites que
pour être jouées », écrivait Molière dans sa préface à L’Amour médecin. Ce n’est pourtant qu’au
XVIIIe siècle, avec Beaumarchais notamment, que les dramaturges ont
commencé à s’intéresser véritablement à la mise en scène et à en inscrire les
modalités dans le texte de leurs pièces. Aborder « le texte théâtral et sa
représentation, du XVIIe siècle à nos jours » en classe de
Première, c’est amener les élèves à percevoir les enjeux spécifiques du genre
théâtral, qui trouve sa réalisation dans la représentation. Le corpus soumis à
notre étude, en confrontant les scènes d’exposition, précédées de la liste des
personnages, des trois pièces composant la trilogie de Beaumarchais, Le Barbier de Séville, ou La Précaution
inutile, La folle Journée ou Le
Mariage de Figaro puis La Mère
coupable, permet non seulement de faire prendre conscience aux élèves des
rapports qui unissent le texte théâtral et sa représentation, mais aussi de
montrer l’évolution du genre dramatique, de la comédie classique au drame
bourgeois. L’inscription de l’œuvre de Beaumarchais dans un siècle mouvementé –
« remué de fond en comble », pour reprendre la formule de Figaro dans
La Mère coupable – sera aussi
l’occasion de montrer le rapport particulier qu’entretient le texte avec le
réel. Dix-sept ans – et une Révolution – séparent en effet Le Barbier de Séville, comédie légère, à l’image des héros jeunes
et insouciants qu’elle met en scène, représentée pour la première fois en 1775,
de La Mère coupable, drame à l’atmosphère
funèbre joué en 1792. Entre les deux, La
folle Journée, plus connue sous le titre du Mariage de Figaro, met en scène la tension entre gravité et
légèreté incarnée par les deux protagonistes, Suzanne et Figaro, dont l’amour
est menacé par le désir du comte, leur maître. Les rapports maîtres-valets sont
au cœur de ces œuvres et la rébellion de Figaro, dans son célèbre monologue de
la scène 3 de l’acte V (« Qu’avez-vous fait pout tant de biens ? Vous
vous êtes donné la peine de naître ») a conféré à cette pièce, représentée
seulement cinq ans avant la prise de la Bastille, une dimension
révolutionnaire. En faisant le choix d’une trilogie dramatique, Beaumarchais
innove, soucieux de renouveler le genre théâtral, comme en témoigne son Essai sur le genre dramatique sérieux.
Ses théories sur le drame bourgeois sont d’ailleurs proches de celles de
Diderot dans Entretien sur Le Fils
naturel ou Le Paradoxe du comédien.
L’innovation majeure que révèle notre corpus est sans doute le choix de la
trilogie, qui donne aux personnages une épaisseur romanesque, tout en leur
conférant la profondeur du réel. Le comte Almaviva, Figaro, Rosine, Suzanne
vivent et vieillissent dans l’espace temporel qui sépare et relie à la fois les
trois pièces. La légèreté de la jeunesse s’est transformée en vertu austère
nourrie des expériences de la vie et teintée de nostalgie. La tonalité grave et
moralisante de La Mère coupable, au
titre évocateur, recouvre d’un voile funèbre l’espace scénique, le hors-scène,
mais aussi les histoires d’amour du passé. Le « bouquet funèbre »
préparé par Suzanne est un adieu au doux temps de la jeunesse. Les adversaires
et la nature du conflit – ce « heurt fondamental » examiné par Hegel
dans son Cours d’esthétique – ont
évolué eux aussi dans le sens d’une aggravation. Si Le Barbier de Séville opposait le comte Almaviva, alors jeune
premier, au barbon Bartholo, Le Mariage
de Figaro dresse l’un contre l’autre les alliés de la veille, le comte et
Figaro. La Mère coupable fait
apparaître un personnage de scélérat, Begearss, adversaire commun de Figaro et
de Suzanne, hypocrite qu’il s’agit de démasquer. Si le désir semble également
mouvoir Begearss, qui souhaite épouser Florestine, il est associé à des enjeux
plus mesquins, plus pervers, plus sombres, à l’image de la pièce, drame et non
plus comédie. En conjuguant tous ces enjeux, il s’agira, au cours de notre
séquence, de montrer que ces scènes d’exposition proposent au lecteur comme au
spectateur une esthétique du dévoilement qui permet à la fois d’entrer dans
l’univers de la fiction et de prendre la mesure du cœur de l’homme.
« Le dramaturge, "ce grand
machinateur d’intrigues" », tel pourrait être le titre, en écho à la
périphrase qualifiant Begearss, d’une séquence que nous placerions volontiers
au premier trimestre, dans la mesure où les élèves de Première ont pratiqué le
genre théâtral depuis le début de leur scolarité et maîtrisent le vocabulaire
d’analyse propre à la dramaturgie. La classe de Seconde les a familiarisés avec
les règles du théâtre classique – unités, bienséance, vraisemblance – et avec
les structures internes et externes étudiées par Jacques Schérer dans La Dramaturgie classique en France. Ces
prérequis sont en effet indispensables pour percevoir les continuités, les
évolutions et les ruptures du théâtre de Beaumarchais. Il s’agira alors de
mettre en évidence les relations entre texte et représentation tout en rendant
les élèves sensibles à l’évolution du genre et de la tonalité des trois pièces
et à l’originalité de l’entreprise et de la langue de Beaumarchais. Notre
séquence proposera une étude transversale du corpus afin de mettre en lumière
les points communs et les différences de ces trois scènes d’exposition et
d’inciter les élèves à circuler dans l’œuvre de Beaumarchais comme dans un
théâtre ouvert. La première séance, qui exigera une lecture préalable du corpus,
dont les extraits sont longs, sera centrée sur la trilogie dramatique et
invitera les élèves à réfléchir à l’horizon d’attente des titres, à relever les
informations données par l’exposition sur l’action et les personnages. Ils
percevront ainsi la continuité dramatique entre les trois pièces. L’étude se
poursuivra dans une deuxième séance consacrée à l’évolution du théâtre de
Beaumarchais de la comédie au drame bourgeois. Les élèves auront à réfléchir
sur l’assombrissement progressif de l’atmosphère, sur le rôle et les enjeux du
déguisement et de la feinte, et sur l’évolution de la légèreté à la vertu, du
comique au sérieux – voire au pathétique. La troisième séance permettra
d’examiner les rapports entre le texte et sa représentation et de découvrir que
certains personnages deviennent les doubles de l’auteur et du metteur en scène,
comme eux « grand[s] machinateur[s] d’intrigues, fomentant le trouble avec
art ». A travers l’évolution de ses personnages et de son théâtre,
Beaumarchais propose en effet un regard spéculaire sur son art et les pièces
peuvent aussi se lire dans leur dimension métathéâtrale. La séquence s’achèvera
sur une évaluation sommative consistant en un commentaire de la première scène
du Mariage de Figaro dont nous proposerons une correction.
La première séance, construite autour de
la notion de « trilogie dramatique », invitera d’abord les élèves à
s’interroger sur l’horizon d’attente des différents titres au regard de la
liste des personnages et de la première scène de chaque pièce. Le personnage
éponyme du Barbier de Séville est
donc Figaro, homme du peuple dont le statut de protagoniste principal semble
confirmé par le titre de la deuxième pièce. Le sous-titre, La Précaution inutile, reprend un topos de la comédie farcesque et
de la Commedia dell’arte en laissant entendre que, malgré ses précautions –
« les croisées […] grillées » – le barbon Bartholo (dont le type de
rôle semble contenu dans les sonorités de son nom) sera joué. Si les élèves ont
lu ou étudié L’Ecole des femmes en
Seconde, ils feront aisément le lien entre Bartholo et Arnolphe, les deux
barbons ridicules, et Rosine et Agnès, les deux ingénues. Ils saisiront ainsi
les effets d’intertextualité et prendront conscience de l’importance de
« l’innutrition » – pour reprendre le mot de Du Bellay – et de la
mise à distance nécessaire à la création d’un théâtre à la fois novateur et
inscrit dans la tradition. En examinant par la suite la liste des personnages,
ils repèreront la présence constante de deux d’entre eux : le comte
Almaviva et Figaro, et s’interrogeront sans doute sur l’identité de la comtesse
dont le nom n’est pas précisé. Une lecture plus attentive des premières scènes
leur permettra de deviner qu’il s’agit de Rosine, jeune « rose »
désirée dans la première pièce, épouse délaissée dans la deuxième et, au final,
femme « très malheureuse, et d’une angélique piété » dans le drame. Le
titre, La Mère coupable, suggère une
faute de la part de la comtesse, seul personnage à être mère dans la pièce, le
chevalier Léon étant son fils. Aucun élément de la liste des personnages ou des
deux premières scènes ne permet de connaître la nature de cette faute,
toutefois, le monologue pathétique de Suzanne, ponctué d’exclamations et de
soupirs, évoque « un autre homme qui n’est plus ». Le bouquet
funèbre, aux couleurs du cœur brisé de la comtesse, laisse deviner un amour
défunt (et donc illégitime). Il serait sans doute inutile d’évoquer le rôle de
Chérubin dans l’intrigue, toutefois, « l’angélique piété » de la
comtesse ne fait-elle pas écho au nom de l’être aimé ?
En relevant les fils emmêlés des
différents extraits – à l’image de l’imbroglio du Mariage – il sera aisé de comprendre l’évolution familiale,
sociale, morale et historique subie par les personnages. De barbier, Figaro est
devenu « valet de chambre du comte et concierge du château », bientôt
marié à Suzanne malgré l’obstacle représenté par son maître ingrat, avant de
progresser socialement en devenant « chirurgien et homme de confiance du
comte ». Un certain ordre est revenu dans les relations de Figaro et du
comte, mais le valet rusé, dans la liste des personnages de La Mère coupable, a reculé, dépassé par
un nouveau venu, intrigant qui apparaît d’emblée comme un obstacle. Figaro, qui
n’est plus le personnage éponyme, a « régressé » dramatiquement en
s’élevant socialement et moralement car, en 1790, l’heure n’est plus à la
comédie…
Au terme de cette séance, les élèves
auront réuni les fils tissés entre les trois pièces et permettant de donner à
ces personnages l’épaisseur du réel. Le choix de la trilogie rapproche l’œuvre
de Beaumarchais de l’univers romanesque. Les personnages ne prennent pas
seulement vie sur scène, le temps de la représentation, mais continuent
d’évoluer entre les pièces. Le dramaturge, en effet, approfondit la psychologie
de ses personnages au fil des œuvres et crée même des liens entre la fiction et
la réalité. La famille du comte Almaviva, Figaro et Suzanne, sont soumis aux
aléas de l’Histoire, s’y adaptent, y gagnent en « expérience » ou y
perdent leurs « illusions ». Ils vieillissent comme les lecteurs et
les spectateurs qui peuvent être ainsi « touchés » par le spectacle
de leur vie, ce qui est l’un des objectifs du drame tel que le définissent
Beaumarchais et Diderot.
Pour toucher le public, Beaumarchais
choisit le drame larmoyant en 1790, époque sombre où la terreur a remplacé les
idéaux révolutionnaires. Cette perte des idéaux, des illusions, est visible à
travers notre corpus, dans l’évolution de la comédie au drame, évolution qui
sera l’objet de notre deuxième séance. Dans Le
Barbier de Séville, l’atmosphère est légère. Le nom des valets – « La Jeunesse »
pour le plus vieux et « L’Eveillé » pour le plus endormi – parce
qu’ils fonctionnent par antiphrase, font sourire le lecteur. Les thèmes du
déguisement – que le comte multiplie au fil des actes – et du libertinage,
auxquels s’ajoute un cadre espagnol, ne sont pas sans évoquer Dom Juan
de Molière. Dans le monologue de la première scène, Almaviva évoque ses
conquêtes de Madrid dans un vocabulaire galant (« quelque aimable »)
qui discrédite ses protestations d’amour à l’égard de Rosine. Le jeu sur le mot
« jalousie » qui, par syllepse, renvoie à la fois à la persienne de
la croisée et au sentiment de Bartholo, témoigne d’un ton spirituel vers lequel
a évolué la comédie avec Marivaux et Beaumarchais. Toutefois, cette
spiritualité est encore plus frappante dans le dialogue initial du Mariage de Figaro, véritable feu
d’artifice verbal dont la vivacité témoigne d’une éblouissante maîtrise du
langage, comme nous le verrons dans le commentaire final. Cette maîtrise sera
d’ailleurs une arme redoutable contre les manigances du comte. Celui-ci, en
effet, est de nouveau un « prédateur », mais ses victimes, en
changeant de statut, infléchissent le comique de la situation : il ne
s’agit plus de tromper un barbon ridicule et de rétablir ainsi une forme
d’équilibre naturel – les jeunes gens doivent se marier ensemble – mais
d’abuser d’un « ancien droit du seigneur » aux dépends de Figaro qui
l’a pourtant aidé dans la pièce précédente – et surtout de sa jolie fiancée. Le
droit de cuissage est un renvoi aux lois féodales et annonce, dès la première
scène, la portée politique de la pièce. La scène reste néanmoins légère, malgré
la menace qui pèse sur les futurs mariés, notamment grâce aux caractères
enjoués des deux protagonistes dont l’amour sincère s’oppose aux sentiments
périmés du comte, Don Juan vieillissant délaissant une comtesse-Elvire qui se
languit. Rosine, en perdant son prénom de fleur pour devenir « la comtesse »,
semble avoir aussi perdu, aux yeux de son mari du moins, le charme qui le
conduisait sous sa fenêtre dans Le
Barbier de Séville. Le « grand fauteuil de malade » mentionné
dans la didascalie sur laquelle s’ouvre la scène, n’est-il pas à l’image d’un
amour malade, mais aussi, peut-être, d’une comédie malade évoluant petit à
petit vers le drame ?
Dans La
Mère coupable, le comte a certes perdu son orgueil et, visiblement, sa
tendance au libertinage, mais cette nouvelle vertu prend la forme d’une
« humeur […] sombre et terrible » bien plus inquiétante que son
inconstance ou son abus de pouvoir. Cette humeur semble avoir gagné son valet
qui apparaît ici comme son double. Les domestiques s’assimilent d’ailleurs aux
maîtres (« Nous avons l’air de tout le monde ! ») par l’emploi
du pronom « nous » créant une forme d’égalité fantasmée par la
Révolution – mais Suzanne semble surtout nostalgique du passé ! – et
surtout par le ralliement à une cause commune : tous sont menacés par un
nouveau personnage typique du drame : le scélérat, incarné ici par
l’Irlandais Begearss. Cette présence menaçante contribue à assombrir
l’atmosphère. Au doux prénom « Rosine » rapprochant métaphoriquement
la jeune femme de la rose transformée en topos de la poésie lyrique – on pense
bien sûr à « Mignonne, allons voir si la rose… » de Ronsard – a
succédé le « bouquet de fleurs d’orange appelé chapeau de la mariée »
que Suzanne noue à ses cheveux au début du Mariage
de Figaro, puis le bouquet funèbre de La
Mère coupable, symbole de souffrance et de mort. Ce motif parcourt la
trilogie et pourrait devenir le symbole de l’évolution du genre entre les trois
pièces. Les soupirs de Suzanne ne font qu’accentuer l’impression de tristesse
pesante et de nostalgie qui envahit progressivement la scène. L’oxymore
« triste fantaisie » sur lequel s’achève le monologue inaugural
pourrait caractériser la pièce qui s’ouvre à la fois sur une atmosphère funèbre
et sur le projet d’une nouvelle « machination » dans laquelle le
public espère retrouver un peu de la fantaisie des pièces précédentes…
La troisième séance sera consacrée aux
rapports entre le texte et sa mise en scène et à la dimension métathéâtrale des
différents extraits. Il s’agira d’abord de mettre en évidence la portée à la
fois dramatique et symbolique des costumes précisément décrits par
Beaumarchais, notamment dans Le Barbier
de Séville. Le costume brun et le chapeau noir du comte témoignent de sa
volonté de dissimulation. Il cache sous ce large manteau qui masque son
identité de riches habits qui dévoilent son rang véritable. Comme dans le
théâtre de Marivaux, nous sommes dans un monde de faux-semblants apte à
dévoiler la vérité : le grand manteau du comte s’ouvrira à la fin sur la
vérité de son rang comme le rideau du théâtre s’ouvre sur une scène où sont
représentés les cœurs humains, voilés eux aussi sous le masque des comédiens.
Don Bazile aussi porte un chapeau noir, mais celui-ci symbolise non la vérité
voilée mais la duplicité, comme on le comprendra à travers les propos de
Suzanne dans Le Mariage de Figaro. Le
costume de Figaro, pittoresque, a contribué à faire de ce personnage le type du
valet rusé et rebelle, maître de l’intrigue et héritier du Scapin de Molière.
Le décor, comme les costumes, a une portée symbolique : les croisées ont
des grilles suggérant l’enfermement de Rosine – elles auront aussi un intérêt dramatique.
Le passage de la rue à l’intérieur de la maison de Bartholo suggère l’entrée du
comte dans le cœur de Rosine… Dans la première scène, il attend que la jeune
cloitrée « se montre » derrière sa jalousie comme la comédienne
« se montre » sur la scène. Le monologue d’Almaviva, artificiel
puisque le personnage est seul et n’a aucune raison de parler à voix haute,
fait apparaître la complexité de l’énonciation théâtrale à laquelle il s’agira
de sensibiliser les élèves. Almaviva mime en effet un dialogue entre lui-même
et un « aimable », sceptique quant à la raison de son projet. Ce
faisant, il instaure un dialogue avec le lecteur-spectateur, comme en témoignent
la phrase interrogative et la sentence au présent gnomique : « chacun
court après le bonheur ». Il peut ainsi exposer les raisons de sa présence
sur scène et son projet d’être aimé « pour soi-même », goût du
naturel qui contraste curieusement avec sa propension à l’artifice…
Le
Mariage de Figaro s’ouvre sur un personnage qui prend les
mesures de la scène, geste à la signification métathéâtrale. Le « fauteuil
de malade » présent sur cette scène est « grand » car il se
transformera en « troisième lieu », cette invention de Beaumarchais
permettant un jeu de cache-cache comique et une mise en abyme du genre théâtral
qui culmineront dans le dernier acte. Le personnage, en prenant les mesures,
apparaît comme un double du dramaturge soucieux de la scénographie. Au cours du
dialogue qui suit, Suzanne évoque le goût de son fiancé pour
« l’intrigue ». Cette intrigue est aussi celle que
« machine » l’auteur pour prendre le lecteur-spectateur dans ses
filets, le toucher, le captiver… Or, elle apparaît ici comme un moyen
« d’attraper ce grand trompeur » qu’est le comte, c’est-à-dire de
rétablir la justice et la vérité. La scène est bien le lieu d’une esthétique du
dévoilement.
Dans La
Mère coupable, l’intrigue doit « marche[r] au but « afin de
démasquer Begearss. Toutefois, ce nouveau personnage apparaît lui-même comme un
« profond machinateur », adversaire par conséquent redoutable et
autre double du dramaturge construisant des intrigues de plus en plus
complexes. La pièce annonce un duel entre Figaro, le « bon »,
« l’homme de confiance » et Begearss, le méchant, le traître qui
connaît les « secrets » de tous, la vérité, mais est prêt à s’en
servir pour nuire, sorte de double maléfique du héros. L’allusion à Tartuffe –
dont l’entrée sur scène est retardée comme celle de l’Irlandais, créant un
effet d’attente qui renforce la curiosité du lecteur – inscrit le personnage
dans une lignée d’hypocrites qui incarnent aussi la théâtralité, la racine
grecque du mot renvoyant au comédien, à celui qui « porte un
masque ». Pour démasquer l’hypocrite, Suzanne et Figaro se font à leur
tour comédiens, « feign[ant] d’être brouillés » pour mieux
« tromper le trompeur » et découvrir la vérité, dans un jeu de mise
en abyme témoignant de la spécularité de l’œuvre. Comme dans Le Barbier de Séville, le caractère
artificiel de cette exposition est souligné par Suzanne : « Mon
pauvre Figaro […] tu commences à radoter ? Si je sais tout cela, qu’est-il
besoin de me le dire ? ». Le personnage lui-même témoigne ici de la
double énonciation théâtrale telle qu’Anne Ubersfeld l’a analysée dans Lire le théâtre. Telle une spectatrice
présente sur scène, Suzanne ne doit « jamais perdre » Begearss
« de vue ». En lui expliquant son rôle, Figaro incite le public à
être attentif à tous les signes susceptibles d’être porteurs de sens et
Beaumarchais nous invite à une démarche herméneutique. Le théâtre est une
« machine cybernétique » – pour reprendre l’image de Roland
Barthes – qui sollicite plusieurs sens à la fois et peut ainsi dévoiler les
vérités cachées sous la parole trompeuse ou erronée. Le lecteur, quant à lui,
bénéficie d’informations préalables que le spectateur ne découvre qu’au fil de
la représentation.
En guise d’évaluation sommative, les
élèves auront à rassembler et à organiser les différents éléments d’analyse
afin de rédiger un commentaire de la première scène du Mariage de Figaro dont nous proposerons la correction dans notre
quatrième et dernière séance. Il s’agira de montrer les caractéristiques et les
enjeux de l’exposition, tout d’abord en faisant apparaître les liens de cette
pièce avec Le Barbier de Séville,
ainsi que les différentes informations données sur l’action et les personnages.
Le rideau s’ouvre en effet sur une action qui commence in medias res et toute l’habileté du dramaturge consiste à informer
les spectateurs de la manière la plus naturelle possible. L’ignorance – ou la naïveté
de Figaro ici – permet à Suzanne de l’informer en même temps que nous. Une
deuxième partie s’intéressera à la mise en scène et aux rapports du texte à la représentation.
Elle montrera notamment la situation stratégique de la chambre des futurs
mariés entre l’appartement du comte et celui de la comtesse. Symboliquement,
cet emplacement suggère la séparation du couple d’aristocrates et l’union des
valets, menacée toutefois par le désir du comte symbolisé par le don du lit.
Nous développerons ici l’étude de la vivacité et de la spiritualité du dialogue
qui constituera notre troisième partie. La stichomythie du début suggère la
rapidité et l’entêtement de Suzanne dans son refus. Les antithèses et les
parallélismes (« raison » / « tort », « détruit »
/ « repent ») créent un rythme bondissant. L’ironie domine dans les
répliques de Suzanne jouant de la répétition des onomatopées
« zeste ! », « crac ! » en en modifiant le sens.
La connotation érotique reste sous-entendue, retenue par l’aposiopèse « en
trois sauts… ». Le propos reste suggestif, n’est jamais pesant.
L’évocation des « beaux yeux de ton mérite » fonctionne par hypallage
et l’ironie mordante et tendre à la fois ne dissimule pas une critique piquante
de l’ingratitude du comte. La formule paradoxale « Que les gens d’esprit
sont bêtes ! » est une pointe contre la naïveté de Figaro, mais le
ton reste léger et ne transforme pas la scène en scène de conflit ou de
dispute. Figaro, spirituel lui aussi, joue sur l’expression commune
« avoir des cornes de cocu » sans jamais la formuler vulgairement. Le
jeu de scène final autour du baiser renforce la légèreté, la spiritualité du dialogue
tout en renforçant l’image d’un couple uni. L’allusion érotique de la formule
de Figaro (« du soir au matin ») suggère le désir, l’impatience, mais
le titre, La folle Journée, laisse
entendre que de nombreuses péripéties viendront mettre l’impatience du futur
marié à l’épreuve…
Au terme de cette séquence, les élèves
auront perçu les enjeux fondamentaux de l’écriture dramatique, cette
« écriture glacée dans l’encre de sa page », attendant son
destin : la représentation », comme l’écrit Daniel Mesguich dans L’Eternel Ephémère [NB : la citation exacte est : cette « lettre en
souffrance, glacée dans l’encre et sur la page » attendant son
« destin : le théâtre »]. Le choix d’une trilogie dramatique
apporte aux personnages de Beaumarchais une dimension romanesque et convient à
la volonté de toucher le public en lui présentant des individus proches de lui
sans être ridicules. La dimension métathéâtrale des textes aura également
permis de réfléchir à la spécificité de ce genre dévoilant, selon Beaumarchais
et Marivaux, des vérités sous le voile des apparences et des faux semblants. A
la suite de cette séquence, nous proposerons aux élèves l’étude du Mariage de Figaro dans son intégralité
afin d’approfondir l’observation des innovations scéniques de Beaumarchais et
de leur donner la clé du chagrin et de « l’angélique piété » de la
comtesse : Chérubin, le jeune page amoureux. En prolongement, nous
pourrons également analyser le tableau de Fragonard, Le Verrou, dont l’atmosphère légère et libertine fait écho à celle
de la pièce. Le Verrou propose de
plus lui aussi une esthétique du dévoilement à travers un jeu de tentures et de
rideaux entourant un lit aux rondeurs féminines. Ce lit pourrait être celui de
Suzanne et de Figaro et suggérer le désir du comte Almaviva…
Récréation! Graine de soleil, un roman de Cécile Boisbieux
Axel et Lisa vivent avec leur père dans une grande maison d’un quartier bourgeois de Toulouse. Leur mère est repartie depuis de nombreuses années à Barcelone, sa ville natale, et ne donne presque jamais de nouvelles. Les deux enfants ont dû grandir avec cette absence. Passionnée de littérature et de musique, Lisa est étudiante en licence de Lettres Modernes. A peine plus âgé que sa sœur avec laquelle il entretient depuis toujours une relation fusionnelle, quasi incestueuse, Axel ne fait rien de sa vie et semble rongé par un désir malsain d’autodestruction. Depuis quelques mois, il fréquente le patron du Monkey Club, un homme à la réputation sulfureuse soupçonné d’être au centre d’un important réseau de trafic de cocaïne et de prostitution masculine.
Le soir de ses vingt ans, au cours de la fête d’anniversaire qui réunit tous ses amis, Lisa reçoit un étrange cadeau anonyme, un manuscrit vierge portant seulement le titre du récit – Graine de Soleil – dont elle avait entrepris l’écriture entre dix et treize ans avant d’abandonner son héros, un jeune Inca du XVIe siècle, double fictif d’Axel, dans les méandres de l’intrigue. Incitation à terminer l’aventure ou volonté sournoise de réveiller de terribles secrets enfouis au plus profond de sa mémoire, ce cadeau va bouleverser la vie de Lisa et celle de son frère.





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