Alfred de MUSSET, La Confession d'un enfant du siècle, 1836 (extrait): le romantisme et le "mal du siècle"
En
1836, Alfred de Musset publie La Confession d’un enfant du siècle. Dans cet
extrait, il évoque la situation de la jeunesse en 1830 et définit les racines
du fameux « mal du siècle » dont souffre la génération romantique.
Les uns disaient : Ce
qui a causé la chute de l’empereur[1],
c’est que le peuple n’en voulait plus ; les autres : Le peuple
voulait le roi ; non, la liberté ; non, la raison ; non, la
religion ; non, la constitution anglaise ; non, l’absolutisme[2] ;
un dernier ajouta : Non ! rien de tout cela, mais le repos. Et ils
continuèrent ainsi, tantôt raillant, tantôt disputant, pendant nombre d’années,
et, sous prétexte de bâtir, démolissant tout pierre à pierre, si bien qu’il ne
passait plus rien de vivant dans l’atmosphère de leurs paroles, et que les
homme de la veille devenaient tout à coup des vieillards.
Trois éléments partageaient
donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à
jamais détruit, s’agitait encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des
siècles de l’absolutisme1 ; devant eux l’aurore d’un immense
horizon, les premières clartés de l’avenir, et entre ces deux mondes… quelque
chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune
Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine
de naufrages, traversée de temps en temps par quelques blanche voile lointaine
ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en
un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui
ressemble à tous les deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on
fait, si l’on marche sur une semence ou un débris.
Voilà dans quel chaos il
fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de
force et d’audace, fils de l’empire et petits-fils de la révolution.
Or, du passé, ils n’en
voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils l’aimaient,
mais quoi ? comme Pygmalion Galathée[3] ;
c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle
s’animât, que le sang colorât ses veines.
Il leur resta donc le
présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le
jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements,
serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible.
[1] Napoléon
[2] La monarchie d’Ancien
Régime, dans laquelle le roi est omnipotent
[3] Le sculpteur Pygmalion,
roi légendaire de Chypre, tomba amoureux de Galatée, la statue qu’il avait
créée. Il demanda à la déesse de l’amour de lui donner la vie et l’épousa.

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