Source : préface de
Charles Méla à l’édition du Chevalier de la Charrette, Le livre de Poche, collection
Les Lettres gothiques.
Polémique littéraire et
large débat qui prit place entre 1120 et 1174 sur la nature de l’amour.
Chez Chrétien, contrairement à la conception de l’amour courtois que l’on
trouve chez les troubadours de la même époque (Raimbaut d’Orange et Bernard de
Ventadour), la force d’Amour ne doit rien à la magie de quelque philtre (rejet
du modèle tristanesque) : elle vient de la seule perfection du cœur, à
l’image de Lancelot acceptant de monter dans la charrette, prêt à vouloir sans
faiblir cette perte de tout pouvoir sur soi-même. Pour Chrétien, le véritable amour est l’affaire d’un choix, celui de
vouloir le vivre dans toute son exigence, et non pas d’une contrainte subie
contre sa volonté et hors de toute raison.
Traité
Sur l’amour
composé vers 1186 par André le Chapelain dans l’entourage de Marie de
Champagne. Élaboration de toute une casuistique amoureuse à travers ces divertissements mondains. Il
faut néanmoins distinguer la sensualité
de la fin’amor de la volupté
excessive. La doctrine courtoise est en matière d’amour comparable aux
enseignements de l’Eglise au sujet du mariage : « L’homme que
tourmente trop le plaisir des sens ne saurait aimer. » ; « le
plaisir trop impérieux des sens est tout à fait ennemi de l’amour. »
L’appétit des jouissances ne cherche qu’à se satisfaire lui-même au mépris de
l’autre. Dans le traité de Chapelain, la
Dame aimée doit amener l’amant à s’élever moralement, à se transcender. Que
penser alors de l’humiliation acceptée par Lancelot par amour pour
Guenièvre ? On trouve l’écho de ces débats dans les monologues centraux de
Lancelot et de la reine (lire les vers 4197-4396).
Le fait que Guenièvre reproche à Lancelot,
non pas d’être monté dans la charrette mais d’avoir hésité un instant à le
faire est pousser à l’hyperbole et au paradoxe le service d’Amour.
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| Illustration du Traité sur l'amour (De amore) d'André le Chapelain |
« Avec la Charrette, Chrétien a tenu le pari insensé de faire à la fois de Lancelot un nouveau Tristan, coupable du même adultère et de la même trahison, et la figure du Christ, Sauveur des hommes. » (Charles Méla).
Qu’est-ce
qui, dans la destinée humaine, est mis vraiment en jeu dans notre roman ?
Une faille s’ouvre au
cœur du monde humain (figuré par le royaume de Logres) à partir du moment où la
reine est enlevée au roi. « L’Île de Verre » que
cache peut-être le nom de Gorre est ce lieu d’inquiétante merveille d’où nul
n’est jamais revenu, mais où chacun peut lire sa mort en puissance et où se
laisse entrevoir le reflet interdit de ce dont l’homme n’a jamais rien voulu
savoir. « Car le royaume de Gorre
que traverse la reine Guenièvre est le miroir secret où se trouble la belle
image arthurienne : pourquoi, en effet, la noble figure d’un père, en
la personne du roi Bademagu, viendrait-elle en regard d’un impuissant roi
Arthur, si un mauvais fils dénommé Méléagant n’avait, comme une figure maudite
de Lancelot et de son coupable amour secret, affiché en pleine cour son désir
pour la reine, et osé dire, ce qui était vrai, qu’elle n’appartenait plus au
roi ? » (Charles Méla).
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| Arthur et Guenièvre |
« La
mort d’Arthur et de tous ceux de la Table Ronde se donne à lire par
anticipation dans la scène du Cimetière futur comme la conséquence obscurément
pressentie du crime secret de Lancelot » (Charles Méla).
Comme
tout est cependant mis en miroir, le royaume de Gorre devient le lieu des
fausses rumeurs, jusqu'à ce que le mensonge se referme sur Lancelot
lui-même ; une fausse lettre exhibée par un messager accrédite aux yeux de
tous la nouvelle de son retour auprès d’Arthur. Invitation à une lecture « à plus haut sens » qui interprète
les signes et les symboles.
On
trouve de nombreux symboles dans ce
roman. Par exemple, le Pont de l’Epée
est non seulement un symbole viril qui s’oppose à la féminité de l’eau (« Eve »
en ancien français), mais il est à lire aussi comme « un martyre ou une
Passion vécue sur une autre croix, sous le regard du Père, le roi dans la tour.
Le travail s’accomplit ainsi par le feu et par le fer, comme celui de la lance
qui entamait déjà sa chair, de l’épée qui le mutile aux mains et aux pieds, des
barreaux tranchants de la fenêtre qui entaillent la "jointure" de son
petit doigt. » (Charles Méla). Eau et sang forment une nouvelle Eucharistie (action
de grâce). « Dans la transparence du royaume de Gorre ou de Verre, ce
n’est que son propre cœur que le héros visite, dans l’attente de sa
métamorphose » mais « la transmutation de Lancelot suppose son
enfermement et sa mort dans la tour d’où il ressortira régénéré » grâce à
la sœur de son double maudit. « Cette transmutation s’accompagne
nécessairement de l’élimination finale de Méléagant, cette force du Mal que le
héros portait en soi et qui le hantait tout au long du récit comme son double,
mais dont maintenant, sauvagement, il se libère, dans le troisième et dernier
combat » (Charles Méla).
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| Lancelot franchissant le Pont de l’Épée |
Autre
symbole : le sycomore (vers 6983).
Le sycomore planté depuis le temps
d’Abel fait de Méléagant un nouveau Caïn et évoque l’Eden originel dans
l’effacement de toute faute. « Il fallait donc, en s’engageant sur les
routes de l’Autre Monde, n’avoir jamais reculé devant le pire pour que le
meilleur pût enfin advenir. » (Charles Méla).
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| Lancelot et Méléagant |
Double
cohérence (paradoxale) du récit : « l’absolu amoureux qui seul guide
Lancelot n’en est pas moins intégré à une histoire du salut, où un sauveur
libère tout un peuple du Royaume sans retour. » (Charles Méla). Cf.
Interprétation de Jacques Ribard qui, Evangiles
à l’appui, fait de Lancelot un nouveau Messie.








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