Courant clairement défini par plusieurs textes
théoriques, le naturalisme manque singulièrement d’aura dans l’histoire
littéraire : Zola, qui en a rédigé la théorie, appliqué les règles et
porté le mouvement, a lui-même, dans sa maturité, échappé à son propre credo.
1. Entre philosophie, art et sciences.
- Depuis
l’époque des Lumières et aujourd’hui encore, le mot désigne les théories
purement rationalistes qui refusent toute origine surnaturelle à la création et
s’opposent aux religions révélées et au providentialisme. Le
matérialisme de Diderot, par exemple, est fondé sur un naturalisme optimiste,
quelque peu panthéiste, qui considère le développement de la société et le
mouvement du progrès comme le résultat des lois de la physique, de la biologie
et de la géographie. Plusieurs confusions sont donc possibles.
- Mêmes influences que le réalisme, auxquelles on
peut ajouter le transformisme de Darwin,
dont l’œuvre, traduite en 1862, suggère à Zola d’étendre à la société les principes
de la lutte pour la vie et de la sélection naturelle observés dans la
nature.
- Grande influence également de Taine qui transpose en philosophie et en morale les principes de l’observation scientifique. C’est l’œuvre de Taine qui permet à Zola de construire l’évolution de ses personnages à partir des trois fameux critères : « la race, le milieu, le moment ».
- Mais le modèle de référence est avant tout celui que fournit, en 1865, l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale de Claude Bernard (1813-1878). C’est lui qui, en définissant le déterminisme comme l’ « ordre des faits suivant lequel les conditions d’existence d’un phénomène sont déterminées, fixées absolument de telle façon que, ces conditions étant posées, le phénomène ne peut pas ne pas se produire », donne sa base à la vision naturaliste du monde.
- On y trouve également le pessimisme de Schopenhauer (1788-1860), qui inscrit l’homme dans un mouvement du monde qui l’englobe, le dépasse et limite son libre arbitre
2 .Le Roman expérimental et les textes théoriques
- Après les préfaces essentielles de Thérèse Raquin, La Fortune des Rougon et L’Assommoir, Zola réunit dans deux recueils d’articles, Le Roman expérimental (1880) et Les Romanciers naturalistes (1881), ses principes essentiels, mais en les radicalisant au moment même où son œuvre personnelle se libère de tous les carcans.
- La notion de « roman expérimental » a été empruntée à Claude Bernard, afin de transposer, et non d’imiter dans le domaine du roman, les objectifs et les méthodes de la science, en vue de la recherche de la vérité, non pas intemporelle mais adaptée à la modernité et aux progrès techniques que ses contemporains admirent sans en maîtriser le sens.
- Zola définit l’art du romancier comme une méthode comparable à celles qu’emploient, dans un contexte positiviste, les disciplines qui donneront naissance aux sciences humaines. Il préconise l’obligation de faire appel à une documentation rigoureuse, préconise ensuite une observation en forme d’enquête. Paraphrasant Claude Bernard qui écrit « L’expérimentateur est le juge d’instruction de la nature », il décrète que « Nous autres, romanciers, nous sommes les juges d’instruction des hommes et de leurs passions. »
- L’évolution, par rapport à Balzac qui se voyait en « greffier », est spectaculaire et contradictoire si l’on songe que le romancier expérimentateur doit être objectif. Cette nécessité implique la suppression des intrusions d’auteur ainsi que des digressions d’un Hugo ou d’un Balzac. Zola estime ensuite que le romancier ne doit pas imaginer son sujet, son cadre ou les thèmes traités mais les emprunter obligatoirement au monde contemporain et à ses défaillances sociales. Mais, pour interpréter le monde, Zola considère dès 1864, que l’écrivain doit faire preuve d’invention. Il pose un « filtre » sur les faits observés qui reflète son « tempérament » mais ne doit pas devenir un écran déformant comparable à la rhétorique classique ou au lyrisme romantique. Le romancier reste donc un créateur mais son expérimentation débouche sur une morale laïque et démocratique et s’inscrit dans une philosophie du progrès.
![]() |
Jean-Eugène Buland, Propagande, 1889 |
3. Les Rougon-Macquart, inventaire de la modernité
- Les 20 volumes des Rougon-Macquart entraînent le lecteur dans le labyrinthe de la société industrielle en construction. Des quartiers ouvriers dans L’Assommoir, on passe dans Nana (1880) au monde des viveurs. Le Paris haussmannien avec ses folles entreprises et la spéculation qu’elles créent, revit dans La Curée (1872), Le Ventre de Paris (1873), Au bonheur des dames (1883) ou L’Argent (1891).
- Dans son temps comme dans le nôtre, les effets parfois pesants du système Zola, la présence envahissante de sa documentation, la subordination de ses personnages à l’idée qu’il veut donner de leur milieu et de leur hérédité fatale, l’omniprésence de sa thèse ont irrité. Contrairement à Flaubert, il ne sacrifie pas l’intrigue, mais celle-ci est souvent convenue. Cependant, en s’emparant de la liberté d’écriture qu’il semblait à peine concéder au romancier, l’auteur du Roman expérimental devient un créateur de mythes. Il parvient à combiner, malgré sa confiance dans des théories, invalidées depuis, sur l’hérédité, une intuition assez juste des progrès des sciences et des techniques, ainsi que des problèmes sociaux qui en découlent, avec une véritable vision. L’imaginaire romantique des grands mythes ressurgit sous sa plume, tel l’alambic monstrueux qui incarne la malédiction ouvrière de l’alcoolisme détruisant tous les personnages de L’Assommoir, mais aussi la mine du Voreux se nourrissant comme une sorte de Moloch, de l’épuisement des mineurs dans Germinal, ou encore le labyrinthe des sous-sols du grand magasin dans Au bonheur des dames. Mythes à la mesure de la société complexe dont il s’est fait le témoin.
Bibliographie
critique :
- Henri Mitterrand, Zola et le naturalisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1986.
- Alain Pagès, Le Naturalisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1989.
Commentaires
Enregistrer un commentaire